Partout

Ils sont partout. On les croise à tout bout de champ et à tous les coins de rue, sur tous les réseaux sociaux, dans tous les milieux, tout le temps, par tous les temps, partout… Ils sont là, toujours présents, prégnants, pénétrants (à nos corps défendants), dans notre dos ou face à nous, contre nous, nous sommes cernés de toute part, aucune échappatoire.

Il suffit, pour s’en assurer, de tendre l’oreille, d’écouter les conversations, celles d’inconnus dans le métro, de voisins, de proches, d’amis, de membres de la famille et les nôtres, aussi (et surtout, d’ailleurs) pour prendre conscience de ce phénomène probablement aussi vieux que l’humanité mais qui nous semble toujours tellement plus grave, tellement plus insurmontable, insupportable, à nos petits yeux fatigués de devoir être confrontés sans cesse à cette avanie mondiale, que dis-je, universelle, parce que je ne doute pas un seul instant que nos cousins (si j’en crois cet article) d’outre-galaxie sont tout autant victimes des mêmes calamités que nous.

Partout. À la boulangerie, à l’école, au dîner de la tante Odette, dans le bus bondé de 18h07 et surtout, SURTOUT, S.U.R.T.O.U.T. au bureau, au taf, au boulot, à l’usine ou à la mine, c’est là qu’on en croise la plus grande concentration. Soixante-sept million soixante-quinze mille (chiffres INSEE d’avril 2020) personnes cohabitent avec toi et moi dans notre pays. Faisons l’impasse sur les quinze millions qui ont moins de dix-huit ans, nous sommes donc cinquante-deux millions à devoir vivre entourés d’un ou plusieurs collègues, chef de service, patron, médecin, prof, coiffeur, palefrenier, DRH, beau-frère, chiropracteur, plombier, serveur, ministre, psy, garagiste, conducteur de bus, agent des impôts, fleuriste, marabout, maçon, paléo-anthropologue, metteur en scène, proctologue, stagiaire (liste non exhaustive de métier à la dénomination non pas masculine mais neutre, ne pas rayer les mentions inutiles) qui nous a fait subir, à une ou plusieurs reprises et à nos dépends (forcément) son incompétence crasse, son incapacité à comprendre, gérer, organiser, anticiper, manager, décider, trancher, choisir entre bleu canard et bleu pétrole ou entre peste et choléra. Partout, tout le temps, que l’on écoute les conversations des autres ou les nôtres, le constat est accablant : nous (et je m’inclue volontiers dedans pour l’avoir fait et le faire encore, tout autant que toi, à longueur de conversation, de posts rageurs ici ou là et d’articles ici-même) sommes manifestement entourés des pires incompétents que la Terre ait portée et nous, oui, N.O.U.S. savons manifestement mieux qu’eux comment ceci devrait être fait, réglé, géré, managé, organisé, décidé… Et rien n’apparaît plus vrai en cette période confinée.

Nous sommes donc cinquante-deux millions de Français manifestement dotés d’un talent inné pour la gestion (et particulièrement la gestion de crise depuis deux mois), l’organisation, le management, la prise de décision que personne ne semble être en mesure de nous reconnaître puisque nous ne sommes confrontés quotidiennement qu’à des incompétents idiots qui ne savent rien sur rien (alors que N.O.U.S. manifestement, nous savons, nous connaissons les solutions des problèmes insolubles auxquels l’humanité toute entière est confrontée) mais qui décident de tout. Mal évidemment. Et personne ne pense jamais à nous demander notre avis si précieux.

Partout. Par tous les temps, tout le temps, dans tous les milieux, à tous les coins de rue, à tout bout de champ, cinquante-deux millions de Français pointent inlassablement du doigt l’incompétence de cinquante-deux deux millions de concitoyens semblant oublier qu’à la place de ceux qu’ils dénoncent, ils ne feraient pas mieux. Et de toute façon, ce n’est pas le but recherché. Critiquer autrui permet de se trouver des excuses pour ne rien faire tout en se valorisant soi-même d’avoir des solutions tellement évidentes (croit-on).

Soixante-sept millions d’arbitres de foot sont également soixante-sept millions d’experts en gestion de crise, jamais avares de critiques mais rarement porteurs d’idées, qui applaudissent gentiment le personnel soignant chaque soir à vingt heures mais contournent les règles du confinement à la première occasion mais toujours avec une bonne raison, qui ont un réservoir inépuisable de « y’a qu’à, faut qu’on » à destination des autres mais jamais pour eux-mêmes et qui, à la veillent d’être déconfinés, trouvent encore le moyen de jouer les pleureuses parce que, les pauvres, ils ne pourront pas aller à la plage ou partir en vacances à Barcelone cet été. Il n’est pas très compliqué de comprendre le sens des priorités à la française : moi d’abord, les autres peuvent bien crever. Changez rien, surtout ! Et d’ailleurs, puisqu’on en parle, il me paraît plus qu’illusoire de penser que « les choses » vont changer à partir du 11 mai dans nos comportements collectifs…

Post-scriptum : c’est en cherchant à écrire sur le déconfinement qui pointe le bout de son museau dans moins de trente-six heures que je suis retombé sur ce brouillon écrit en août 2017. Il me paraît être d’une criante actualité en cette période particulière…

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