De l’étonnement

À l’heure où j’entame ma cinquième semaine dans cette institution qui a eu l’excellente idée de m’embaucher, il est temps pour moi de te livrer mon rapport d’étonnement (à défaut de le livrer à ma hiérarchie qui n’en a cure puisque ce n’est pas dans les habitudes de notre pays).

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Les relations humaines

Parce qu’ici nous sommes plus nombreux que là-bas, personne ne fait le tour de tous les bureaux le matin pour dire bonjour, taper la bise et demander si on a passé une bonne nuit et bien fait caca ce matin. L’impression des premiers jours est que tout le monde s’en tape (ce qui n’est pas loin d’être vrai) mais pour autant, mes nouveaux collègues ne sont pas de gros rustres malpolis. On se dit bonjour quand on se croise (et c’est déjà bien) dans les couloirs et on ne s’avance à aller voir une personne en particulier dans son bureau pour la saluer qu’à la condition d’avoir un minimum d’affinités avec elle (ou d’avoir un service à lui demander). Ça peut paraître absolument banal présenté comme ça, mais sache que pour moi, c’est nouveau. Déroutant, aussi, au début, où tu as le sentiment (justifié) que tu peux rester des jours entiers dans ton bureau sans que personne ne vienne s’assurer que tu n’es pas mort de déshydratation sur ta chaise (inconfortable, sache-le, là-dessus j’y ai perdu).

Autre différence : ici, on ne se fait pas la bise, sauf cas particuliers. Cela tient principalement au nombre (2 bises x le nombre total = environ 160 smacks par jour si tu croises tout le monde et que tu es une fille qui tape la bise aux filles et aux gars, nombre réduit à environ 100 si tu es un gars qui n’embrasse que les filles) et honnêtement, je préfère largement ne pas avoir à lécher le mourre* de tout ce petit monde (note que je ferais bien une exception avec ce mignon collège barbu et souriant mais on ne se connaît pas encore assez pour ça…).

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*expression maternelle suffisamment parlante pour que je me dispense de toute explication.

Le café

Ici, point de café payé par l’entreprise (oui, je sais, c’était un petit avantage non négligeable), c’est chacun pour soi, mais on dispose quand même d’une Nespresso®, on n’est pas chez les ploucs ! Chacun ses dosettes, mais tout le monde est disposé à les partager.

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Le silence

Paradoxalement, compte-tenu du nombre que nous sommes ici (près de quatre fois plus que là-bas), c’est un silence total et absolu qui règne en maître dans les couloirs. L’ambiance est studieuse et les sons étouffés par de magnifiques panneaux de liège plaqués sur les murs (ça fait rêver, hein ?). Pas de cris ni d’éclats de rire, seules quelques collègues se font entendre de loin (dont une en particulier qui parle tout le temps, mais vraiment TOUT LE TEMPS, genre elle ne s’arrête jamais ni pour pisser, ni pour respirer). Cela dit, elle ne parle QUE boulot.

Les sujets de conversation

Ça aussi c’est un changement énorme : ici on parle boulot, boulot, boulot, encore boulot et uniquement boulot. Les seules évocations de vie personnelle concernent les enfants, ce qui est LE sujet sans risque et socialement fédérateur. Sorti de ça, rien ne filtre. Dans un sens, ce n’est pas plus mal, mélanger le privé et le boulot n’est pas toujours une bonne idée (si tant que ça le soit jamais) mais ça surprend un peu sur le coup. Et ça n’arrange pas l’impression que tout le monde est indifférent à tout le monde (ce qui n’est pas vrai, quand on gratte un peu).

Le temps de travail

Ici, le temps de travail est LA valeur cardinale que tout un chacun (à une ou deux exceptions près) respecte scrupuleusement ce qui diffère beaucoup de ce que j’ai connu là-bas où le je-m’en-foutisme est de rigueur. L’intérêt c’est qu’au moins ici les gens sont à l’heure en réunion (et ça, ça me change).

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Néanmoins (et là, je me permets d’insister un peu lourdement) passer d’une durée hebdomadaire de travail de trente-six heures à trente-neuf, ça pique un peu. Surtout le vendredi après-midi, puisque pendant treize ans, j’ai eu la chance d’avoir cette demi-journée de liberté en plus de mon week-end. Alors bien sûr, je compense avec un nombre de jours de RTT qui a triplé par rapport à avant, mais il n’empêche que ce changement-ci est un peu difficile. Pis il faut bien que je râle un peu, sinon après, j’ai des plaintes.

Le respect

C’est une chose qui me surprend tellement que je me rends compte à quel point mon ancienne équipe est profondément irrespectueuse de tout et de tous. Ici, j’ai une fonction, j’occupe une place dans l’organigramme et que je sois nouveau n’est absolument pas un critère discriminant : ce que je dis est entendu, accepté et respecté. J’ai voix au chapitre sur les questions qui me concernent au même titre que tous mes collègues et, dès lors que mes propos et mes actes tiennent la route, je suis écouté et soutenu. Et ça, tu vois, ça fait un bien fou !

Cerise sur le gâteau, ici lorsqu’une décision est prise, on ne revient pas dessus au motif que l’on a changé d’humeur ou qu’une connasse est passée par là pour émettre un avis différent. On dit ce qu’on fait et on fait ce qu’on dit.

La franchise

Elle s’est manifestée dès le premier jour et ne s’est pas démentie depuis. Ici, on dit les choses, avec les précautions d’usage, mais on les dit, même si cela doit concerner le collègue qui partage ton bureau ou ton N+2. On ne te laisse pas mariner dans ton ignorance (sauf pour certains trucs qui peuvent s’avérer utiles comme savoir où trouver les fournitures de base qu’il m’a fallu plus d’une semaine pour dénicher).

Bilan

Le bilan est très facile à tirer dans la mesure où le changement était non seulement attendu, mais aussi souhaité et souhaitable. Je préfère me savoir ici plutôt que d’imaginer être resté là-bas, sans rien avoir à faire et avec pour seule perspective une affectation d’office dans un placard même pas doré voire carrément le chômage.

Bien sûr, tout n’est pas rose non plus et je sais pertinemment que je n’ai pas été embauché par la Bisounours Inc. Néanmoins, après treize années passée à bouffer de la connasse au quotidien, ce que je vis s’apparenterait presque à des vacances (j’ai bien dit « presque » hein !) et ça, ça vaut son pesant de beurre de cacahuète.

Globalement malgré tout, les pertes (parce qu’il y en a quelques-unes) sont très inférieures aux gains. Certaines sont anecdotiques, d’autres un chouia plus sérieuses, mais aucune n’est suffisamment importante pour ternir le présent bilan qui est plutôt positif.

fbb83dcba32cb408abfa0998e6822162Alors comme dirait l’autre :

« Pourvu que ça dure !».

9 commentaires sur “De l’étonnement

  1. Un bilan qui fait plaisir à lire ! Passer d’un univers à un autre et se rendre compte à quel point on était mal-traité par le passé doit faire le même effet que d’ouvrir des fenêtres dans une maison toute sombre : on se demande comment on a pu supporter ca !
    En tout cas, s’il y a bien une chose qui ne change pas, c’est ton goùt exquis pour choisir tes illustrations 🙂 (mentions spéciales pour le 1er et le 4e dont j’aurais bien aimé voir la frimousse…)

    1. Oh, on le supporte parce qu’on fait comme si on ne voyait pas. C’est tellement plus confortable de faire comme si de rien n’était…

  2. Eh bien, eh bien, je vois que tu es tombé dans un meilleur endroit que précédemment 🙂 Ca fait plaisir à lire.

    J’avoue te jalouser un peu pour certains points de ton billet comme celui essentiel qui pêche chez nous : le respect.
    Au Purgatoire (oui je ce n’est pas encore l’Enfer dans ma boîte mais on s’y approche), le respect est une notion oubliée depuis fort longtemps voire depuis Mathusalem. Je ne dis pas que mes collègues ne savent pas ce qu’est cette notion, non, non ! Mais certains estiment que TU leur dois le respect et qu’ILS n’ont pas à te respecter ni toi ni tes considérations, tes idées ou bien tes suggestions ! J’en ai fait les frais à plusieurs reprises comme beaucoup de mes collègues (comme toi aussi je pense).
    Une Nespresso chez vous ?? Mazette ! J’espère que tu en profites un peu 🙂
    Impossible chez nous sauf si on la garde dans son bureau. Autrement tu peux souscrire une belle assurance anti-casse car, comme je le disais juste avant, le respect des affaires d’autrui, certains ne connaissent pas chez nous -_-

    Dans tous les cas, profite !!! Tu sembles t’épanouir d’avantage dans ce nouveau poste que dans l’autre (heureusement ^^). Mais n’oublie pas ce qui fait ta marque de fabrique : râler 🙂 Parce que pour le moment, c’est encore Bisounours et Cie on dirait 😀

  3. Mais tu vas te faire chier!!!!! 🙂
    Plus sérieusement, c’est génial que l’environnement soit si différent et semble te convenir.
    Même si tu n’as plus ton vendredi après-midi, tu risques d’y gagner en qualité de travail et donc moins être agacé en rentrant a la maison.
    Certes, moins d’anecdotes croustillantes, quoi que je te fais confiance pour en trouver.
    Même si j’essaye d’être méchant, c’est tout le mal que j’aurai pu te souhaiter: un environnement de travail ou tout est normal et personne n’agace 😉

  4. En lisant ton article, je me disais en même temps : tien, chez moi c’est pareil à mais sur ce point c’est différent etc.

    Sur certains points, je suis content que mon univers professionnel diverge, ça permet de tenir dans cette atmosphère nauséabond!

    Très content que ton acclimatation se passe sans soucis 🙂

    Mais du coup, la perspective d’articles truculents c’est amenuisé d’un coup.

  5. Tiens ça me donne envie de parler de mes différents clients et les différents univers professionnels

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